An undergraduate essay by Patricia Gagné. In French! Thanks to Alec Lynch for help with the formatting…
Au début, il n’y avait rien… Puis arriva le Tisserand qui s’installa à son Métier où il tissa Fionavar, le premier de tous les mondes. Il y créa ses dieux, ses lios alfar, ses Dalreï et les autres êtres et créatures qui ont aujourd’hui leurs fils dans la Tapisserie. Il tissa aussi notre monde, pâle reflet de ce monde originel. Du néant, vint Rakoth Maugrim, dit le Dévastateur, qui ne possédait pas de fil dans la Tapisserie et qui voulu s’approprier Fionavar pour le réduire en esclavage. Advint donc la guerre, le Baël Rangat, contre le Dévastateur qui perdit et fut enfermé sous la Montagne, le Rangat, où il attendit un millier d’années…
Le Tisserand de Fionavar est Guy Gavriel Kay. Né dans une petite ville de la Saskatchewan en 1954, il entame des études de droit qu’il terminera en Angleterre à la fin des années soixante-dix. Durant sa dernière année en droit, il travaillera avec Christopher Tolkien sur Le Silmarillion, oeuvre inachevée de J.R.R. Tolkien (dont Christopher est le fils), sans doute l’auteur le plus connu de la ” Fantasy “. Il sera par la suite auteur pour la série radiodiffusée The Scales of Justice pendant dix ans et entre les saisons, qui prennent huit mois à produire, il prend le temps d’écrire pour lui-même. En 1984, il nous présente son premier roman The Summer Tree (L’Arbre de l’été, traduit de l’anglais par élisabeth Vonarburg en 1994, ainsi que les deux autres livres de la trilogie) ; suivront The Wandering Fire en 1986 (Le Feu vagabond, 1994) et The Darkest Road également en 1986 (La Route obscure, 1995)1 .
La Tapisserie de Fionavar (titre de l’ensemble de la trilogie) fut accueillie par certains critiques de la ” Fantasy ” comme étant la plus grande oeuvre du genre depuis Le Seigneur des anneaux de Tolkien. D’ailleurs, vu sa collaboration avec le fils de ce dernier, beaucoup de critiques et lecteurs ont pris soin de noter les similitudes entre les deux oeuvres. Par exemple, on peut voir à travers Lorèn Mantel d’Argent le personnage de Tolkien Gandalf le Gris, les lios alfar ressemblent aux elfes, la main mutilée de Rakoth Maugrim rappelle la main coupée de Sauron, la tour de Rakoth, Starkadh, ressemble à Barad Dür, la forteresse de Sauron en Mordor. Dans une entrevue publiée dans la revue Solaris, G.G.Kay parle de ces emprunts à l’oeuvre de Tolkien : ” Mais c’était une tentative délibérée de me servir de ces éléments afin de voir si quelque chose de neuf pouvait en sortir”.2
C’est donc à partir de la Tapisserie de Fionavar que nous allons élaborer ce travail. La question à laquelle nous tenterons de répondre est la suivante : pouvons-nous affirmer que le modèle de la quête initiatique de Simone Vierne se retrouve dans la trilogie de Guy Gavriel Kay ? En nous concentrant sur trois des cinq héros de la Tapisserie, soit Paul, Kimberly et Jennifer, nous analyserons les trois étapes que Simone Vierne a identifiées dans son livre Rite, roman, initiation, c’est-à-dire la préparation, la mort symbolique et la nouvelle naissance.
Avant d’entrer dans le travail sur la problématique, abordons la naissance des héros. La venue au monde du héros dans les mythes greco-romains est souvent préalablement annoncée par les puissances supérieures : rêves, prophéties, oracles ne sont que quelques exemples de la façon dont ils sont annoncés. Les cinq héros de la Tapisserie sont prévus, non pas depuis leur naissance, mais leur venue en Fionavar. Lorèn, entre autres, a rêvé d’eux. Paul fait partie d’une prophétie l’annonçant comme l’étranger qui reviendra vivant de l’Arbre de l’été. Lorèn sait que chacun des cinq héros auront leur rôle à jouer dans la Tapisserie, mais ceux-ci ne sont pas encore bien définis. La seule dont la naissance a été prévue, c’est Kimberly. En effet, Ysanne, la prophétesse du Brennin, a rêvé de la rencontre de ses parents, de sa naissance et de la Pierre de la Guerre à son doigt. Pour Jeniffer, cela semble plus compliqué : Lorèn a rêvé d’elle, mais il ne sait pas le rôle qu’elle doit jouer. Pourtant, lorsqu’il la rencontre, il ressent qu’elle devra subir de dures épreuves : ” Nul ne sait si Lorèn Mantel d’Argent eut alors une vision de ce que l’avenir réservait à Jennifer, mais il la regarda avec toute la tendresse dont il était capable, […] “.3
La chanson de Rachel
Selon l’étude de Mme Vierne, la préparation comporte trois aspects : premièrement le lieu d’initiation doit être aménagé, deuxièmement le futur initié doit être purifié et, troisièmement il doit être séparé des profanes. Ce dernier aspect marque la fin de la préparation et le commencement de l’initiation à proprement parler.
Pour Paul Schafer, la préparation semble commencer alors qu’il est encore dans notre univers, à Toronto, avec les quatre autres héros, et même avant leur rencontre avec Lorèn Mantel d’Argent. Le but de la préparation étant de ” mettre le novice dans un état d’angoisse religieuse propre à préparer son coeur aux révélations sacrées”4, nous pourrions supposer que le contact5 que Lorèn fait subir à Paul sert à sa préparation. En effet, à la suite de ce contact, et lorsqu’ils repartent de la conférence tous les cinq avec Lorenzo Marcus et Matt, Paul sait que toute cette histoire n’est pas claire. C’est ce contact qui fera que Paul posera ses questions, qu’il observera ce qui se déroule autour de ce Lorenzo Marcus et qui lui fera découvrir qu’ils sont suivis par un svart alfar. Sans ce contact, peut-être serions-nous en droit de penser que Paul n’aurait pas été aussi ouvert à ce que vient leur raconter Lorèn.
Dans L’Arbre de l’été, Paul, s’étant lié d’amitié avec le roi au cours d’une partie d’échecs et ayant entendu Kevin chanter la chanson de Rachel, décide de demander au roi s’il accepte qu’il s’offre en sacrifice à sa place dans l’Arbre de l’été. Commence alors la préparation de Paul en Fionavar. Le lieu d’initiation est un lieu sacré situé dans un espace à l’écart des lieux de la vie courante considérée comme profane. C’est le lieu habité par les forces incontrôlées de l’homme, un lieu de puissance, un lieu investi par le pouvoir divin. Ce sont d’ailleurs avec ces puissances et forces sacrées que le héros sera en contact durant son initiation, car il faut le préciser : n’est pas initié qui veut et seules les puissances divines ou leurs représentants (chamans, sorciers, prophètes, etc) peuvent effectuer l’initiation des novices.
Pour Schafer, le lieu d’initiation est le Bois Sacré et plus précisément l’Arbre de l’&e
acute;té. Il faut sortir de la ville, pénétrer dans le Bois Sacré qui se situe à l’ouest où l’on doit suivre un sentier sinueux jusqu’à la clairière où le chêne se dresse. à travers le chemin, les personnages ressentent le vent comme le souffle du dieu, comme une présence lointaine et près en même temps, car en ce lieu où se dresse l’Arbre, ” émanait une puissance indicible6 “. L’Arbre de l’été a ceci de sacré qu’il est dédié à Mörnir7 et c’est à cet endroit que sont mandés les hauts rois du Brennin au sacrifice lorsque le royaume est dans le besoin. Le lieu d’initiation, ici l’Arbre de l’été, sert de liaison entre le monde humain et le monde divin, ce qui lui confère son statut sacré. Nous retrouvons ce lien entre le monde humain et le monde divin dans la relation qui existe entre le très haut roi (ou le sacrifié) et le Dieu.
Avant de pouvoir pénétrer le lieu sacré, le héros doit être purifié ou préparé à recevoir la révélation, à se présenter devant les puissances divines. Dans le cas de Schafer, la purification commence avec les paroles rituelles qui, prononcées par le très haut roi, servent à l’identifié comme étant l’objet du sacrifice : ” Je vous donne à l’instant en offrande à Mörnir. Pour trois nuits et pour toujours…8 “. S’ensuivra la mise à nu de Paul devant l’Arbre afin d’y être attaché. La mise à nu est d’ailleurs nécessaire pour quitter le profane et se présenter devant le sacré. On se présente sans vêtement, en toute humilité pour accueillir le divin.
Le troisième aspect, la séparation du héros avec le profane, conjugue les deux premiers aspects. Ainsi, puisqu’il est dans un lieu isolé et qu’il est purifié, on peut désormais le considérer comme étant à part du reste du monde. En quittant son ancienne vie, on reconnaît qu’il quittera l’état latent dans lequel il se trouve pour se diriger vers un état d’être. Cette séparation du profane l’isole parce qu’il deviendra autre et c’est d’ailleurs le but de l’initiation proprement dite : se dépouiller de sa condition première, la période de latence où on attend la révélation, pour vivre notre véritable rôle révélé par la puissance divine. En fait, le héros doit mourir pour renaître autre. Paul croit qu’il mourra dans l’Arbre puisque habituellement tous les sacrifiés meurent : c’est le prix qu’exige Mörnir en échange de faveur. Mais déjà, en se présentant devant l’Arbre, il commençait à devenir autre car il s’est avancé de lui-même devant l’Arbre, c’était un véritable sacrifice, une joie de quitter ce monde où il y avait de la musique. La musique qu’il entend est le mouvement de la pièce de Brahms que Rachel Kincaid, la femme qu’il aime, avait joué pour lui lors d’un récital. Peu de temps après, elle mourrait dans un accident de voiture dans lequel Paul conduisait.
Avant de renaître, il faut mourir et lorsqu’on est ainsi séparé des êtres profanes, c’est irréversible. Pour Paul, la mort semblait inévitable et même souhaitable, car c’est dans l’espoir de mourir ou du moins de fuir la musique qu’il a accepté la proposition de Lorèn de venir en Fionavar. Sa mort devient d’autant plus importante qu’elle permettra de faire cesser la sécheresse qui sévit au Brennin. D’autre part, un héros véritable se reconnaît à sa capacité à s’offrir en sacrifice. Ce que Paul ne savait pas, c’est que sa mort ne serait que symbolique et qu’il reviendrait parmi les vivants. Ce qui nous amène à la deuxième étape, la mort symbolique.
Il y a plusieurs épreuves qui permettent d’y arriver. De façon générale, elles sont divisées en trois catégories : les rituels initiatiques de mise à mort, le retour à l’état embryonnaire (regressus ad uterum) et la descente aux enfers et/ou la montée au ciel. On peut retrouver deux catégories ou même les trois dans une initiation, comme nous pouvons n’en trouver qu’une seule, le but étant toujours le même : le passage à travers la mort. Les rituels de mise à mort et le retour à l’état embryonnaire sont fortement liés puisque lors du regressus ad uterum, le héros est dans un état d’avant la naissance et donc il n’est pas vivant. Dans la catégorie de rituels initiatiques de mise à mort, nous retrouvons les pratiques ascétiques comme le jeûne et l’état de veille.
Pour Paul, les épreuves sont le jeûne, la veille, la chaleur. En effet, attaché à l’Arbre, Paul ne peut ni boire ni manger. De plus, un soleil ardent le torture : ” Il [Paul] était honnête pour admettre qu’être exposé ainsi à la chaleur brutale, à la soif et à l’immobilité suffirait à le tuer […]9 “. Représentant un état prénatal, le jeûne sert d’épreuve d’endurance et favorise l’ouverture d’esprit du héros aux révélations qui lui seront faites, de même pour l’état de veille qui fait entrer le héros dans un espace temporel différent du temps profane dont il doit sortir. La chaleur, l’immobilité, la soif sont des épreuves purificatoires pour Paul qui doit se présenter devant Mörnir défait de ses liens terrestres. Une autre étape le rapprochant du sacré est franchie lorsque Paul compte le temps par l’absence et la présence de lumière. Plus le temps avance, plus Schafer sent que le Dieu approche et que l’Arbre prend possession de son corps. En effet, il entend le tonnerre qui commence à gronder comme s’il venait de l’Arbre et en l’occurrence de son sang puisque l’Arbre l’absorbe couche par couche et le fait sien.
Une autre épreuve attend Paul avant que celui-ci ne plonge dans celle qui sera la plus difficile à surmonter : il s’agit de l’affrontement du monstre. Dans le cas de Paul, l’affrontement est spécial parce qu’il se fait par à travers un autre personnage. à l’origine, le héros devait soit être dévoré par le monstre pour ensuite en ressortir vivant, soit le combattre. Paul, alors qu’il est attaché dans l’Arbre qui a commencé à prendre possession de lui, voit une forme s’approcher de l’Arbre qu’il croit être Lorèn. En fait, il s’agit de Galadan le Seigneur-Loup des andains qui vient prendre sa vie afin que Mörnir ne se présente pour la réclamer, car il est trop puissant et il pourrait interférer dans la guerre contre Maugrim. Cavall, le chien compagnon d’Arthur, arrive dans le Bois Sacré alors que Galadan vient tuer Paul et s’engage entre eux une bataille que les déesses de la guerre Macha et Nemain avaient prévue. Si Cavall n’était pas intervenu, Paul serait mort dans l’Arbre de l’été, mais pendant la bataille, celui-ci fait le serment de tenir le coup dans l’Arbre si le chien gagne la bataille contre Galadan. Il projette tout son esprit, toute son espoir, toute sa volonté vers le chien, car s’il est vaincu, le sacrifice de Paul aura été inutile.
La dernière étape du dépouillement et également de la mort symbolique est la descente aux enfers. Cette descente aux enfers est ce qui permettra à Paul de retrouver son centre, car la révélation nous donne également notre soi, notre centre, ce que nous sommes fondamentalement. Le chemin est difficile, il faut affronter nos fantômes, nos peurs, nos échecs. Pour Paul, l’image de son épreuve peut nous faire penser à un labyrinthe : d’épreuves en épreuves, on se rapproche du centre, de l’épreuve finale, mais également du trésor, de la révélation, on quitte peu à peu le profane pour se diriger vers le sacré. Paul est le seul des trois héros dont nous traitons dans ce travail qui avait déjà entamé sa descente lors de la mort de Rachel. Pour lui, il ne s’agissait que de franchir la porte des enfers et de faire face à son Hadès : Rachel…
Arrive maintenant la seconde mise à nu de Paul, mais cette fois-ci au sens figuré. Le voyage vers le pays des morts peut se faire dans trois directions différentes : horizontalement par exemple vers une île mythique, vers le bas où sont les Enfers – il est important de prendre les Enfers dans le sens de séjour parmi les morts ou parmi les ombres et non pas nécessairement comme une descente au sens propre comme l’a fait Orphée – et finalement vers le haut c’est-à-dire vers le paradis et les êtres divins. Dans la mort symbolique, le héros soutire une partie de l’apprentissage pour lequel il a été choisi, même si essentiellement elle est là pour abolir totalement l’état antérieur à la connaissance. Pour Paul, la descente se fera vers le bas, vers les Enfers. à mesure que le temps passe, l’Arbre enlève peu à peu les couches de la conscience de Paul et le purifie. à la fin, il ne reste que son véritable enfer, ce qui l’a poussé à venir en Fionavar et ce pourquoi il s’est proposé comme sacrifice dans l’Arbre de l’été : Rachel.
Lors de la dernière journée attaché dans l’Arbre, alors qu’il est presque à la fin de son chemin, Paul entend les cloches sonner à Paras Derval signifiant la mort du très haut roi. Mais comme il est rendu à la dernière journée, il doit affronter la mort de Rachel. Il retourne donc en arrière, en pensée alors qu’il est pratiquement inconscient et revoit Rachel. Il comprend alors qu’il doit en arriver là parce que le chemin depuis le début est tracé pour ce but. Et le soir venu, il doit revivre l’accident de Rachel parce qu’on doit se présenter nu devant Mörnir : ” Il était nu ici, peau contre écorce, nu de toutes les façons possibles […] Et il comprit enfin. Comprit que c’était nu, vraiment nu, qu’on se présentait devant le Dieu. C’était l’Arbre qui le dépouillait d’une peau après l’autre, pour atteindre ce qu’il essayait de fuir 10 “. Le symbolisme de la descente en enfer a pour but de faire trouver la sortie au héros, de trouver le centre, la réponse, la récompense et d’en sortir grandi. Paul revoit et même semble revivre l’accident qui a coûté la vie à Rachel, accident dont il se sent responsable parce qu’elle venait de lui annoncer qu’elle se mariait avec un autre homme. Il revit le questionnement, la culpabilité croyant qu’il a peut-être délibérément choisi d’attendre avant de passer à la gauche de la voiture qui allait les heurter. Elle était morte et lui se disait qu’il n’avait pas le droit de pleurer parce qu’il croyait avoir voulu sa mort :
Elle l’avait quittée et il l’avait tuée, et on n’a pas le droit de pleurer quand on a fait une chose pareille. On paie le prix, voilà. Et il était venu jusqu’en Fionavar. Jusque dans l’Arbre de l’été. Fin de la leçon. Il était temps de mourir. 11
Puis la voix de la Déesse Dana se fait entendre et montre la sortie, le centre à Paul : il n’a pas tué Rachel. Il a hésité, mais il a échoué parce qu’il est humain et non pas parce qu’il était guidé par un désir de vengeance ou de meurtre. Les larmes sont donc permises, il n’y a rien à pardonner… Et la pluie vint. Paul a réussi à aller au centre de son labyrinthe pour y trouver le deuil et à trouver la sortie à travers les larmes. Ce sont ses larmes qui déclencheront la pluie sur les terres asséchées du Brennin en écho à ses propres larmes qui coulent enfin sur Rachel Kincaid, la femme qu’il aimait. Un dernier aspect démontrant qu’il y a eu mort symbolique, c’est l’évanouissement de Paul suite à la vision de Mörnir et de Dana. En effet, la perte de conscience prend ici le symbole de la mort et donc la fin de l’état profane dans lequel Schafer se trouvait. Lorsqu’il reviendra à lui, il aura changé.
Paul a compris qu’il est humain, il peut donc renaître parmi les hommes et y trouver sa nouvelle place. Pour lui, la nouvelle naissance est double puisqu’il devait mourir sur l’Arbre en s’offrant au Dieu, mais celui-ci l’a renvoyé dans le monde changé. Parmi les signes de sa renaissance, il y a tout d’abord sa nouvelle mission : il est la Flèche du Dieu, la réponse de Mörnir du Tonnerre à la libération de Rakoth Maugrim. Son nouveau pouvoir, offert par Mörnir, n’en est pas un de destruction, mais de défense contre le mal. C’est grâce à lui, entre autres, qu’il se sauvera avec Jennifer dans notre univers alors que Galadan est à leur poursuite, qu’il contraindra Liranan, le Dieu des eaux, a combattre le Trafiqueur d’âmes et finalement il ramènera Galadan sur le chemin du bien à leur troisième et dernière rencontre. D’ailleurs peut-être pouvons-nous affirmer que sa renaissance n’est complète qu’au moment où il renvoie Galadan à son père, Cernan des Animaux et où il libère par la même occasion Arthur, Lancelot et Guenièvre de leur cycle de résurrection et de souffrance puisque ce n’est qu’à ce moment qu’il comprend son pouvoir.
Suite à sa mort, l’écart semble s’être creusé entre Paul et les autres êtres humains. En effet, puisqu’il a connu toutes les morts possibles étant accroché à l’Arbre, l’hiver que crée Métran à partir du Chaudron ne lui fait aucun effet. Il est aussi à part des autres par ce qu’il représente. Son nouveau nom est d’ailleurs un signe de sa nouvelle naissance : Pwyll le Deux-fois-né, Seigneur de l’Arbre de l’été. Juste ce titre l’éloigne du reste du monde parce qu’il est le symbole du Dieu, le représentant de son pouvoir et c’est par lui qu’il interfère dans la guerre contre Maugrim n’ayant normalement pas le droit de se mêler des affaires des hommes à moins d’y être contraint. Mais peut-on contraindre Mörnir? N’est-ce pas d’ailleurs la Déesse qui a contraint Paul à enfin pleurer Rachel?
Une symbolique très forte entoure ici notre héros : celle de l’arbre et du chêne puisque Paul en sera habité durant le reste de la Tapisserie. L’arbre est considéré comme l’axe du monde, le lien qui existe entre le ciel et la terre, le divin et l’humain comme pour la relation entre l’initié et son initiation : quitter le pro
fane représentant ici la terre pour atteindre le divin ici le sommet de l’arbre. De plus, on peut y inclure le symbole cyclique de mort et résurrection puisqu’il perd ses feuilles, meurt et renaît à chaque printemps. On fera ici le lien avec la mort et la renaissance de Paul dans l’Arbre de l’été. L’arbre est également symbole de force, de puissance, d’autorité, symboles que l’on pourra facilement associer avec la figure du Dieu Mörnir du Tonnerre. La symbolique du chêne est aussi importante par rapport à Paul, puisque l’Arbre de l’été est un chêne. Selon certaines cultures, comme le chêne était souvent touché par la foudre, il était consacré au dieu de la foudre et c’est par cet arbre qu’il exprimait sa volonté. Schafer, alors qu’il est attaché dans l’Arbre, à mesure que le temps passe, il sent le tonnerre qui gronde dans son corps ce qui annonce la venue de Mörnir parmi les hommes. D’ailleurs celui-ci est nommé Mörnir du Tonnerre. Considéré comme possesseur d’une force inexprimable en raison de la dureté de son bois, le chêne est la représentation de la divinité suprême et de l’immortalité, caractéristiques que l’on peut très bien associé au dieu de l’Arbre de l’été parce qu’il est le père des dieux de Fionavar.
La Rêveuse du Rêve
Tout comme Paul, la préparation de Kimberly Ford commence alors qu’elle est encore à Toronto. Après avoir entendu l’histoire de Lorèn, les cinq héros se séparent et rentrent chacun chez eux. Durant la nuit qui suit, Kim fait un rêve étrange : elle est dans une plaine pour obliger un mort à s’éveiller et à lui révéler un secret. Elle aperçoit également un anneau serti d’une pierre à son doigt et celle-ci brille d’une lumière rouge comme Mars, planète nommée ainsi à cause de sa couleur rouge faisant référence au dieu romain de la guerre. Cet épisode peut faire partie de la préparation au même titre que le contact pour Paul parce qu’il fera en sorte que Kim posera des questions à Matt et à Lorèn au sujet de Fionavar comme Paul l’a fait. Elle sait déjà des choses sur ce monde qu’elle a vu en rêve, ce qui fait qu’elle ne doutera pas de la véracité de l’histoire du mage et de sa source : elle partira donc avec eux. Contrairement à Paul, Kimberly subira deux initiations, la seconde étant moins marquée que la première en ce qui à trait aux étapes.
Elle arrive en Fionavar après avoir servi d’hameçon à Lorèn et Matt pour leur traversée entre les univers. Rendue au château du roi, elle fait la rencontre de Ysanne, la prophétesse du Brennin : ” Je vous ai attendu si longtemps, ma très chère 12 “. Celle-ci l’invite donc à passer chez elle où commencera son initiation.
Ysanne habite une petite chaumière située tout près d’un lac, en bordure du Bois Sacré, à l’extérieur de Paras Derval. Pour s’y rendre, on doit monter à cheval : ” Le chemin qui menait au lac auprès duquel vivait Ysanne serpentait vers le nord-ouest à travers un vallon flanqué de collines basses […]13 “. Seule la prophétesse et son serviteur Tyrth y habitent. C’est un lieu isolé, éloigné de la route par laquelle on s’y rend. Nous pouvons considérer la chaumière d’Ysanne comme le lieu d’initiation général de Kim, puisque les deux parties de son initiation se produiront à cet endroit. La première initiation de Kim se fera sur le bord du lac près de la chaumière d’Ysanne. Le lac est investi d’un pouvoir sacré car l’esprit des eaux, Eïlathèn, y est caché. C’est à ce même endroit qu’Ysanne a été initiée alors qu’elle avait dix-sept ans et c’est Eïlathèn qui a tenu le rôle de précepteur auprès de la jeune prophétesse. C’est ce qui démontre le lien qui existe entre le monde humain et le monde divin pour ce qui est du lac.
La purification de Kimberly n’est pas aussi évidente que la précédente. La purification s’effectuant par une mise à nu de l’initié devant le sacré, pour notre héroïne cela se présente par, entres autres, le fait qu’Ysanne sache des choses sur la vie de Kim parce qu’elle a rêvé d’elle. Elle n’a donc pas réellement à s’ouvrir puisqu’elle a déjà été choisie par les rêves de la prophétesses. Par contre, elle est obligée de s’ouvrir sous l’inquisition du regard d’Eïlathèn qui a répondu au feu de la fleur ce qui le contraint à se présenter devant les mortels : ” Le regard d’Eïlathèn entra en elle [Kimberly] comme une lame de glace.[…] Elle soutint son regard du mieux qu’elle put, le soutint jusqu’à ce qu’Eïlathèn lui-même détourna les yeux 14 “. C’est à ce moment qu’elle sera purifiée : quand l’esprit reconnaîtra qu’il s’agit bien de la nouvelle prophétesse de Fionavar.
La séparation du profane avait déjà commencé avant même que Kim ne soit née, Ysanne ayant rêvé la rencontre de ses parents. Puisque la prophétesse a rêvé d’elle, nous pouvons en conclure qu’elle était déjà séparée des gens normaux par le rôle qu’elle est destinée à jouer. Mais sa véritable séparation se fait par étapes, la rapprochant de plus en plus vers son centre : son premier rêve après la rencontre de Lorèn et de Matt, l’aide qu’elle a apportée à Lorèn lors de la traversée entre les univers alors qu’elle lui sert d’hameçon, Ysanne la reconnaissant au château du roi et l’identifiant comme celle qu’elle attendait, la souffrance de la terre causée par la sécheresse qui la fait également souffrir et finalement Eïlathèn qui voit en elle la future prophétesse de Fionavar. Tous ces événements servent à rendre Kimberly prête à recevoir son nouveau rôle.
Arrive l’étape cruciale de Kimberly et une fois cette épreuve passée, il n’est plus question de revenir en arrière. La mort symbolique de Kim se fait à travers Eïlathèn : Ysanne l’a convoqué afin qu’il tisse la Tapisserie pour la future prophétesse, ce qui permettra à Kim de vivre avec la connaissance de Fionavar afin qu’elle puisse bien remplir son rôle de prophétesse. Il n’y a pas de danger de mort pour cette dernière comme il y en a eu pour Paul, le but d’Ysanne et de l’esprit des eaux n’étant pas de tuer Kimberly. Le fait qu’Eïlathèn lui fasse voir toute la Tapisserie n’est qu’une façon pour eux de s’assurer que Kim aura toutes les connaissances dont elle aura besoin pour remplir pleinement son nouveau rôle. C’est seulement l’ancienne Kimberly qui est morte suite à l’expérience qu’elle vit à travers la magie de l’esprit. Pour notre nouvelle prophétesse, aucune descente aux enfers, aucune montée au paradis, seulement l’affrontement du monstre, représenté par le passé, lié au regressus ad uterum, et le passage à travers la mort. Contrairement à l’épreuve de Paul, Kim est engloutie par le monstre :
Et il [Eïlathèn] fut en elle, plus profondément qu’aucun amant, et plus complètement, et Kimberly reçut don de la Tapisserie. Elle vit la création des univers […] Kimberly n’avait plus conscience du temps ni de l’espace, […] elle était emprisonnée comme par un sortilège dans les images que lui imposaient les yeux d’Eïlathèn.15
Heureusement pour elle, elle n’aura qu’à lui faire face et à attendre que tout soit fini. Pas de véritable combat, si ce n’est que contre les visions de Rakoth Maugrim et du Baël Rangat, pas de blessure, si ce n’est de toute la souffrance que peut porter un univers comme Fionavar. Nous pourrions peut-être suggérer que notre nouvelle prophétesses passe par le regressus ad uterum avant sa renaissance : elle assiste au tissage de la Tapisserie, donc à la création du monde, à la cosmologie des univers, du chaos à aujourd’hui. Ce thème est synonyme de voyage et c’est exactement ce que Kim a à faire, un voyage à travers le dessin et le dessein de l’oeuvre du Tisserand. Après avoir vu la Tapisserie, Kim perd connaissance : c’est le passage à travers la mort. Ainsi meurt l’ancienne Kimberly qui se dirige vers sa première nouvelle naissance.
Les changements en notre héroïne s’effectueront lorsqu’elle reprendra conscience au coucher du soleil, une nuit et un jour plus tard dans la chaumière d’Ysanne. à son réveil, la vieille ” prophétesse vit le flot brutal du savoir monter dans [les] yeux [de Kim] 16 “. Elle revient dans le monde changée parce qu’elle possède en elle les souvenirs de Fionavar, elle est devenue la plus Fionavarienne des trois personnages que nous traitons justement à cause de toutes ses images qu’elle porte en elle. Ce nouvel état, cette nouvelle connaissance de l’univers dans lequel elle les a tous emmenés, marquent la séparation de Kim avec non seulement les quatre autres héros, mais d’avec tout Fionavar, car elle est maintenant leur prophétesse. Elle portera dorénavant le nouveau titre de Prophétesse du Brennin et de Rêveuse du Rêve, l’un des symboles les plus apparents de son changement. Le nouveau pouvoir de Kim sera principalement de rêver les événements qui seront tissés à travers les boucles du temps à venir, c’est l’une de ses principales missions. La seconde sera de porter la Pierre de la Guerre, l’anneau que Ysanne et elle ont rêvé à don doigt : avec lui, elle réveillera les morts, contraindra des divinités à lui obéir, fera voyager les cinq héros à travers les univers et plongera même au coeur des desseins de Rakoth Maugrim.
Mais, hélas pour elle, l’initiation ne s’arrêtera pas là. La seconde aura lieu dans la chaumière d’Ysanne. Sous le plancher de la chaumière se trouve deux objets magiques : un bandeau et une dague attendant le rêve qui leur donnera leur rôle respectif dans la Tapisserie. Kim apprend que le rêve attendu viendra probablement à elle et que la mission de trouver qui devra porter le bandeau lui appartiendra. Elle n’acceptera pas ce rôle : puisqu’elle n’est pas de Fionavar, qu’elle n’en porte pas les racines mais seulement les souvenirs, elle ne pourrait jamais avoir la prétention de contrôler ce qui se passe dans cet univers simplement parce qu’elle a rêvé.
Ysanne, qui a rêvé de cet événement, sait ce qu’elle doit faire : mourir pour laisser la place à Kim. Celle-ci, par l’endroit où elle est et par le pouvoir dont elle est maintenant investie, est déjà séparée du profane. Pour ce qui est de la purification, nous pouvons dire que le symbole que trace le doigt de la vieille prophétesse sur le visage de la nouvelle, sert à préparer l’esprit de Kim à recevoir son nouveau pouvoir. De plus, la mort symbolique ne sera pas directement vécue par elle, mais par Ysanne. Afin que Kim puisse posséder les racines de Fionavar et se sentir comme étant un peu chez elle, la vieille prophétesse se tue avec la dague. Avec celle-ci venait une magie : ” Qui meurt avec amour fera présent de son âme à qui est marqué du dessin gravé sur le manche de ce poignard 17 “. En se suicidant avec la dague, Ysanne, ayant tracé le symbole sur le visage de Kim et puisqu’elle le fait par amour pour elle, fait don de son âme à la nouvelle prophétesse de Fionavar. Ainsi, Kim possède non seulement les souvenirs de Fionavar, mais les souvenirs, les rêves, la conscience d’Ysanne.
Ce cadeau permet à notre prophétesse d’acquérir une part de plus de la connaissance de ce nouvel univers : ” La prophétesse avait fait don à Kim de tout ce qui était en son pouvoir, tout. Kim ne pouvait plus dire qu’elle n’appartenait pas à Fionavar, car elle en vibrait désormais d’une compréhension intuitive de ce monde […]18 “. Kim renaît donc encore une fois, avec un savoir en plus et comme pour afficher que la vieille prophétesse était en elle, ses cheveux sont devenus blanc. Elle est maintenant totalement prête à assumer son rôle dans la Tapisserie, totalement prête à souffrir et à faire souffrir ceux qu’elle aime par le rôle qu’elle porte…
La plus triste histoire jamais racontée…
Jennifer Lowell est le personnage qui, des trois que nous étudions, à l’initiation la plus difficile à cerner car elle s’échelonne sur beaucoup plus de temps que les deux autres et il y a quelques variantes dans les divers aspects des trois étapes. Mais voyons tout d’abord sa préparation. Jen est un personnage que l’on pourrait qualifier de passif parce qu’elle n’entreprend pas de véritables actions durant la trilogie si ce n’est de conserver son bébé : elle arrive en Fionavar et ne semble pas vouloir s’enraciner comme l’ont fait Paul et Kim, elle se laisse porter par le courant, elle subit ce qui doit se passer n’essayant pas d’y prendre part ou même de comprendre ce qui se passe.
Quoi qu’il en soit, un soir, elle se retrouve à l’extérieur du château de Paras Derval avec les lios alfar, créatures magnifiques que l’on pourrait rapprocher des elfes, où elle passe la nuit à la belle étoile à écouter leur chant magnifique. Une attaque surprise des loups et de Galadan se produit et Jennifer est enlevée par ce dernier. Il l’emmènera au nord où l’attend Avaïa la noire, un gigantesque cygne des Ténèbres qui l’emportera à Starkadh, la forteresse de Maugrim. La forteresse de Rakoth est le lieu d’initiation de Jennifer. Située dans le nord-ouest de Fionavar, près du Mont Rangat, elle est ” […]une énorme masse de pierres empilées, sans fenêtres, sans lumière, l’inexpugnable forteresse d’un dieu19 “. Située dans le nord profond de Fionavar, Starkadh est un univers à elle seule. Non seulement elle est éloignée du monde, mais elle est même éloignée des puissances du bien qui couvrent le reste du monde. Jennifer ne se dirige pas vers le sacré, mais vers le profane, vers les Ténèbres du Dévastateur.
Lors de l’initiation, on doit se présenter purifié devant le dieu qui nous apporte la révélation, mais pour Jen
nifer, aucune purification n’est possible, seulement de la souillure puisqu’elle se présente pure devant Maugrim et lui la détruira. Alors qu’elle croyait ne pouvoir descendre plus bas dans l’horreur et la terreur, Rakoth se présente à elle, dans ce lieu où il est le plus puissant et la prendra de force : ” Vous n’aurez rien de moi que vous ne m’aurez arraché 20 ” sera sa réponse au Dévastateur. Alors le viol qu’elle doit subir sera double, car il prendra physiquement et aussi mentalement. Sa mise à nu sera donc double, car on lui arrachera ses vêtements et Rakoth prendra possession de son esprit, de ses souvenirs. Dans ce lieu où les Ténèbres sont si forts qu’ils absorbent la Lumière, Maugrim arrachera celle de Jen.
Lorsqu’on subit un acte traumatisant, l’esprit se projette dans un endroit de paix et d’amour afin de se protéger, mais Rakoth la poursuit partout dans son âme et prend tous les visages des gens qu’elle a aimé pour la morceler davantage. Ce sera sa descente aux enfers, devant regarder tous les hommes qu’elle a aimé la prendre de force et la détruire, jusqu’aux visages de vies antérieures qu’elle ne reconnaît même pas. Elle ne quittera pas le monde profane, mais ce qui pour elle pourrait être le monde sacré, le monde avant Rakoth Maugrim. Elle affrontera tous ces monstres et ne fera rien que subir et perdre peu à peu de son humanité, de sa lumière. Elle ne trouvera pas son centre, elle ne vaincra pas la bête et elle n’en sortira pas grandie. Les enfers la poursuivront pendant très longtemps, elle y restera pendant des mois ne pouvant trouver la force de remonter à la surface.
Pour elle, la renaissance semble impossible pour le moment. Lorsque Kimberly, à l’aide du pouvoir du Baëlrath (la Pierre de la Guerre), arrachera Jennifer de la prison de Maugrim et projettera les cinq dans la traversée entre les univers pour se retrouver à Toronto, ils retrouveront une jeune femme déchirée, qui n’a plus de désir d’amour, d’affection, ni même de contacts humains. Son propre corps lui fait mal ce qui fait qu’elle ne peut supporter d’être touchée par qui que ce soit : elle est hors d’atteinte, elle n’existe plus, la lumière s’est éteinte. Elle a encore sur elle la puanteur du cygne noire qui l’a emportée à la forteresse et elle sent encore autour d’elle les Ténèbres de Maugrim qui dévore la lumière autour d’elle. On ne guérit pas si facielement d’avoir eu l’âme tranchée à vif. La seule chose qui la tienne en vie c’est ce que Rakoth a déclaré avant de la laisser entre les mains d’un de ses serviteurs : ” […] elle doit mourir. Il y a une raison à cela 21 “. Jennifer est enceinte du Dévastateur et elle est persuadée que l’enfant qu’elle porte est la raison pour laquelle elle doit être tuée sans en comprendre la signification.
Lorsque l’enfant viendra au monde, suite à une traversée en Fionavar en catastrophe, Jennifer accouche prématurément d’un garçon qu’elle donne à une femme qu’elle a connue à Paras Derval alors qu’elle faisait encore partie du monde. Une fois l’enfant né, tout est devenu plus supportable pour la jeune femme : il n’y avait plus le noir de Rakoth qui l’envahissait, elle peut même se sentir calme. Il n’y a toujours pas de lumière dans sa vie, mais elle n’est plus seulement qu’un corps en rage. Lentement, elle semble vouloir s’ouvrir au monde extérieur et ce qui l’aidera, c’est le retour de l’homme qu’elle a le plus aimé dans toutes ses vies passées : Arthur Pendragon.
Arthur est le Guerrier qu’a réveillé Kimberly pour les aider dans leur guerre contre le Dévastateur. Pendragon, à la vue de Jennifer, l’appellera Geneviève : la reine du roi Arthur. Le retour d’Arthur dans sa vie rallumera une flamme de désir et d’amour, mais aussitôt le souvenir de Starkadh s’impose à Jennifer et pour cette raison elle ne se tournera pas vers cette homme qu’elle a tant aimé dans tous les univers. Déjà, le fait qu’elle est eu ce soubresaut d’amour pour cet homme est une preuve de l’évolution qui se fait pour Jen vers le chemin de la Lumière, même si les Ténèbres sont encore très fortes. L’espoir d’un retour à la normal est donc permis.
Finalement, il faudra attendre jusqu’à la veille du départ d’Arthur pour Cadèr Sédat, l’île où est Métran, ancien premier mage du Brennin qui les a trahi en rejoignant les rangs de Rakoth Maugrim, et le Chaudron qui causait l’hiver en Fionavar sont cachés. Arthur va voir Jennifer pour lui annoncé son départ pour l’île et en le voyant, les derniers vestiges de Starkadh se sont enfin détachés d’elle :
” Oh, Geneviève “, l’entendit-elle dire après un moment.
” Mon besoin est grand.
– Et le mien “, répondit-elle en sentant les derniers lambeaux de Starkadh se déchirer enfin pour la laisser ouverte au désir.
[…] Elle s’était libérée de Rakoth, chacune des épreuves qu’elle avait subies l’avait rendue plus forte, […] “22.
à partir de ce moment, Jennifer redeviendra une femme capable d’amour, de compassion, de vivre avec le contact des autres. Elle ira d’ailleurs attendre le retour d’Arthur à l’Anor Lisèn, une tour bâtie sur les rives de la mer. Mais à son retour, une autre surprise l’attend : l’arrivée de Lancelot. Et à la fin, ils reformeront le triangle parfait et Jennifer deviendra Geneviève à jamais. L’apprentissage de Jen a été difficile, nous pouvons même dire qu’il ne s’agit pas d’un véritable apprentissage, mais de réapprentissage de l’amour qu’elle avait déjà été capable de ressentir. Sa nouvelle naissance se fera donc essentiellement comme se souvenant avoir été Geneviève, la reine et traîtresse d’Arthur, le changement de nom étant un signe symbolisant la séparation d’avec un temps ancien. Ainsi ce termine la plus longue et la plus triste histoire jamais racontée…
Si nous revenons sur les éléments que nous avons apportés, nous pouvons facilement constater que le modèle de la quête initiatique se retrouve dans la Tapisserie de Fionavar de Guy Gavriel Kay. Nous avons pu démonter, à partir de la construction des initiations de Paul, Kimberly et Jennifer, que toutes les étapes s’y retrouvaient avec quelques fois des variantes. Mais malgré ce que nous avons étudié, il est difficile de dire que la renaissance n’a lieu qu’à ce moment, car pour les trois personnages qui nous intéressaient, l’évolution continuera à travers toute la Tapisserie.
Paul apprendra à aimer à nouveau et tombera amoureux de Jaëlle, la prêtresse de Dana, Kimberly causera malgré elle bien des malheurs et bien des douleurs pour finalement apprendre qu’elle n’est pas esclave de son pouvoir et Jennifer, par son sacrifice en donnant la vie à l’enfant de Maugrim, aura tissé sa perte car c’est ce fils qui anéantira le Dévastateur, elle quittera finalement ses amis pour partir avec Lancelot et Arthur. Ce que ces éléments nous permettent de dire, c’est qu’une initiation n’est jamais claire et fixe parce que les personnages évoluent sans cesse, l’humanité étant capable de progrès. Après tout, qui peut dire l
e dessein du Tisserand dans le dessin de la Tapisserie ?
Apostilles
1 Veuillez prendre note que dorénavant, nous emploierons les titres français lorsque nous parlerons des différents livres de la trilogie.
2 TRUDEL, Jean-Louis, ” Guy Gavriel Kay “, Solaris, no 116, hiver 1996, p.23
3 KAY, Guy Gavriel, L’Arbre de l’été, éditions ALIRE, Québec, 2002, p.19
4 VIERNE, Simone, Rite, roman, initiation, éditions Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 1987, p.13
5 Contact mental qui fait ressurgir des images prémonitoires dans la tête de Paul et de Lorèn sur l’avenir de Paul dans l’Arbre de l’été.
6 KAY, Guy Gavriel, op. Cit., p.181
7 Mörnir du Tonnerre est le plus puissant des dieux en Fionavar et est considéré comme le chef au même titre que Zeus en Grèce.
8 Idem
9 ibid., p.197
10Ibid., pp. 246-247
11Ibid., p. 254
12 Ibid., p. 73
13 Ibid., p. 94
14 Ibid., p. 113
15 Ibid., p. 115
16 Ibid., p. 150
17 Ibid., p. 225
18 Ibid., p. 226
19 Ibid., p. 403
20 Ibid., p. 407
21Ibid., p. 409
22 KAY, Guy Gavriel, Le Feu vagabond, éditions ALIRE, Québec, 2002, pp.270-271
Bibliographie
OEuvres à l’étude
KAY, Gavriel Guy, L’Arbre de l’été, éditions ALIRE, Québec, 2002, 422 p.
KAY, Gavriel Guy, Le Feu vagabond, éditions ALIRE, Québec, 2002, 356 p.
KAY, Gavriel Guy, La route obscure, éditions ALIRE, Québec, 2002, 508 p.
Références
– CHAMINOT-PONCET, Christine et Isabelle GUILLAUME, L’épique, éditions élipses, Paris, 142 p.
– éLIADE, Mircéa, Naissances mystiques, éditions Gallimard, Paris, 1959, 274 p.
– éLIADE, Mircéa, Le mythe de l’éternel retour, éditions Gallimard, Paris, 1969, 187 p.
– KERBRAT, Marie-Claire, Leçon littéraire sur l’héroïsme, éditions Presses universitaires de France, Paris, 2000, 375 p.
– PELLETIER, Francine et Jean-Louis TRUDEL, ” Guy Gavriel Kay ” suivi de ” Le métier du Tisserand “, Solaris, no 116, hiver 1996, pp. 22 à 31
– VIERNE, Simone, Rite, roman, initiation, éditions Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 1987, 159 p.
– VONARBURG, élisabeth, ” Fantasy “, Phénix, éditions C. Lefrancq, Bruxelles, no 40, avril 1996, 413 p.